De la médiocrité

20/10/2020

Tous les matins, je me lève et je suis ma routine. Le premier mouvement consiste à écrire pendant 30 min tout ce qui me passe par la tête et par le coeur. Ma pensée n'est pas linéaire et écrire me permet de la ralentir. Et je remarque qu'en ce moment, les raccourcis que je prends finissent tous dans une impasse ou plutôt devant un mur. J'ai des soucis d'argent. Ce n'est ni une première ni même angoissant en soi. La différence est que ma lame est émoussée. Je n'ai plus l'énergie pour aller de l'avant de manière aussi déterminée que lorsque j'étais plus jeune. C'est un mélange de honte, de résignation, d'indignation, de peur, de tristesse qui m'habite. Bref, c'est confus et absolument pas positif. Mais ce que j'exprime le plus dans mon journal en ce moment, c'est mon désir de ne pas me comporter comme tout le monde. Je ne sais pas précisément qui est ce tout le monde duquel je souhaite m'éloigner le plus possible. Pourtant, plus je travaille à me connaitre, plus je me rends compte à quel point je suis banal et donc à quel point je suis proche de ce tout le monde. Et je ne suis pas Nokia, mon but n'est pas d'être connecté à tout le monde. Taïpan dit dans Voyager léger « On veut pas être comme tout le monde mais on veut pas être à part. Devenir personne ou devenir une personne, à toi de voir. » Cette dichotomie retranscrit bien l'hésitation qui me hante et comme l'âne de la fable, je passe mon temps immobile à réfléchir à l'alternative en face de moi.

C'est assez paradoxal de se sentir proche d'un idéal inconnu et in fine repoussant. Mes parents nous ont appris à abhorrer la médiocrité. Cependant, ils ont omis de nous décrire les bénéfices d'une vie normale. Probablement parce qu'ils n'ont jamais considéré la leur comme normale et également parce qu'ils souhaitaient le meilleur pour nous, du moins ce qu'ils imaginaient être le meilleur pour nous. Aujourd'hui, je ne sais pas exactement ce que je cherche. Quand Elizabeth, ma petite soeur était à ma charge, j'avais une vision claire de ce que je me devais accomplir : d'un côté, mettre Elizabeth dans les meilleures conditions possibles pour qu'elle ait son bac et puisse continuer sur les études qui lui plaisent ; de l'autre, que je finisse mes études. Dans ce contexte, la médiocrité ne me traversait pas vraiment l'esprit. J'avais pas l'espace mental ou émotionnel pour y penser. Cette période a duré de 2010 à 2015 à peu de choses près et ce fut un moment de répit par rapport au dépassement perpétuel que je m'impose depuis petit. Avant ça, il y avait la réussite scolaire et après il y a la réussite professionnelle. Avant ça, il y avait la séduction, après, elle est revenue. Avant ça, il y avait la compétition sportive, après, elle est revenue. Cela dit, je ne fais plus face aux mêmes déboires qu'auparavant. Ni ne dispose des mêmes armes. Certaines situations sont naturellement plus facile d'accès ou plus supportables. La confiance en soi qui découle de l'expérience ne se commande pas. De fait donc, j'ai plus de succès avec les femmes, je suis plus à l'aise pour dicter mon rythme dans les échanges formels et surtout, je n'ai plus à prouver que je sais réfléchir. Je n'ai plus à prouver que je suis un exemple pour les miens. Je n'en ressens plus l'obligation et mes choix de vie parlent pour moi.

Quel est donc l'objectif ? Comment prouver que je me démarque du commun des mortels ? Je n'en sais rien. J'ai eu bien des conversations au sujet de l'importance et du sens de la vie avec des personnes qui me ressemblent plus ou moins. Je vais toutes les semaines voir ma psy afin de mettre de l'ordre dans tous ce fatras émotionnel à la base de tous ces questionnements. Je mène une vie assez rigide pour penser le moins possible à ce que je trouve futile. Et malgré toutes ces actions et tous ces choix, je n'ai pas l'impression d'être plus avancé. Je me complais à être meilleur qu'hier mais suis-je vraiment fait pour me satisfaire de si peu ? Est-ce d'ailleurs peu ? Et pourquoi pensé-je que c'est peu ? Et si cela est peu, où se situe le grandiose ?
C'est là où je touche du doigt la peur qui me culpabilise en permanence. Puis-je me satisfaire de ce que je fais actuellement ? Suis-je suffisant ? Je décline alors cette peur à n'importe quelle pensée ou action dont je me sens responsable sur le moment. En particulier, concernant mes soucis d'argent, je devrais travailler. Trouver un deuxième boulot. Trouver un moyen de développer des revenus en ligne. Vendre une partie du peu que je possède. Vendre mes compétences. Malheureusement, force est de constater que ces plans sont plus durs à mettre en place qu'il n'y parait. De surcroit, étant encore en convalescence depuis la rupture de mon tendon d'Achille fin juin, mon temps est grevé par les séances de kinésithérapie. Mais par dessus tout, je suis fainéant. J'ai une grosse tendance à la procrastination et à l'excès. Les mangas, la weed, les séries, le saucisson à la truffe, la lecture, le basket, etc. Tout ce que j'aime, je l'aime trop. Il en va de même de l'homme que je souhaite être. Il en a (presque) trop. Et j'ai peur de ne pas être à la hauteur. À ma hauteur. Les encouragements dans les moments de détresse me heurtent par exemple. Soit la personne ne sait pas où je fixe la barre et donc son avis, par son impertinence, me blesse. Soit la personne en a une idée précise et dans ce cas, j'ai peur de la décevoir comme je me déçois. J'essaie de célébrer mes victoires seul pour des raisons similaires.

J'en suis arrivé à penser qu'ambition et paix peuvent paraitre antinomiques. Les grands hommes sont souvent de grands anxieux. La force qu'ils déploient afin de parvenir à leurs fins est proportionnelle à l'intranquillité émotionnelle, intellectuelle et parfois même physique. Je n'ai pas la prétention de me considérer illustre. Cependant, j'ai été bercé par des récits mythologiques et héroïques depuis ma plus tendre enfance. Ce désir fait partie de mon pourquoi. Ai-je le talent pour me hisser au niveau de ceux que j'admire ? Je n'en sais rien. Néanmoins, je constate plusieurs choses. Cette intranquillité semble être la rançon de la gloire. Ce qui me torture est peut-être la raison de mon succès futur. Par ailleurs, la paix et le bonheur se trouvent dans les petites choses. Apprécier la nourriture qu'on a la chance d'ingurgiter. Pratiquer le sport qu'on aime. Lire le manga qu'on adore. La gratitude exige une attention de tous les instants. Par conséquent, l'ambition et la paix ne sont pas sur le même plan. Le premier repose sur le temps long alors que le second n'existe que dans le présent. Le cerveau a du mal a distinguer la temporalité des émotions qui traversent le corps. On sent et ressent tout, tout de suite alors que les éléments déclencheurs se rapportent de manière indifférenciée au passé, au présent ou au futur. D'où la torture.

Copyright Michael Massart
Copyright Michael Massart

La peur d'être médiocre est la peur de mourir sans laisser de trace. Toute mon anxiété se focalise sur cet objectif. Tout mon corps à l'inverse me pousse à me dédouaner, me reposer. La difficulté consiste alors à évacuer la comparaison avec autrui. Personne ne peut prédire l'avenir et je fais déjà du mieux que je peux pour me garantir un présent radieux et conforme à mes attentes, physiques, intellectuelles et émotionnelles. Manifestement, la limite est là et c'est LA petite chose qui me permet de trouver des instants de joie et de bonheur. Quand j'arrive à apprécier le moment présent à la lumière de tous les choix que j'ai pris pour en arriver à ce moment. Voulant que ce moment dure toujours, je capitalise les choix passés qui m'ont amené là et j'actualise ma vision à la lumière de la joie et de la gratitude que je ressens alors. J'oublie alors qui je suis et cet oubli est salvateur car il m'extirpe de cette lutte contre moi-même. Lorsqu'on interroge tous ses choix, aimer ce qu'on fait est le cadeau le plus précieux. Et à l'évidence, j'aime me torturer l'esprit. Je n'ai pas de souci à me faire.