De la vérité

Ma soeur faisait face à un dilemme et elle m'a demandé conseil comme souvent. J'ai tenté de ne pas vraiment l'aiguiller dans son choix mais bien de lui faire comprendre qu'elle avait tous les outils et toute l'intelligence pour décider par et pour elle-même de la meilleure marche à suivre et que, dans tous les cas, je ne la jugerais pas. Elle a fini par « faire une Michel », selon ses termes, c'est-à-dire, dire la vérité.
Ce n'est pas la première fois qu'on me dit cela. « Faire une Michel ». Je ne suis toujours pas sûr à l'instant où j'écris ces lignes, de ce que ça veut dire pour être honnête. D'après l'exemple cité plus haut, je dirais que c'est dire la vérité même si ce n'est pas forcément l'acte le moins douloureux pour les deux parties. Dire la vérité coûte que coûte. Dire la vérité parce qu'on le doit. Dire la vérité pour se délester du poids de la culpabilité aussi. Dans son cas, l'issue est heureuse par chance.
La dernière fois que je me suis trouvé face à un tel dilemme, j'ai connu la plus grande douleur de ma vie. Une amie avait besoin de soutien émotionnel et je le lui apportais avec plaisir. Elle a passé la nuit à la maison ne pouvant plus prendre la voiture pour rentrer chez elle. A l'époque, j'étais en couple dans une relation longue distance. Nous nous étions promis de parler des situations problématiques qui inviteraient potentiellement l'infidélité. Au vu de la tournure des événements, je me suis donc empressé de la prévenir qu'une amie dormirait ce soir-là à la maison mais qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter outre mesure. J'avais la situation sous contrôle et il n'y avait pas d'ambiguïté entre mon amie et moi. Et pourtant, ce fut l'élément déclencheur de la rupture de mon couple. L'aimant plus que tout, mon monde s'effondrait alors. J'étais incapable d'envisager l'avenir à plus de cinq minutes. Tous mes plans disparurent de mon cerveau en un claquement de doigt et je souffrais en continu pendant les mois qui suivirent.
Ce qui m'a quelque peu surpris, c'est la réaction de mes proches quand je leur exposais l'enchainement des événements de cette nuit. Il n'y avait pas de réel consensus à vrai dire. « T'aurais pas dû lui dire », « T'aurais dû trouver une solution pour qu'elle ne dorme pas chez toi », « Tu as manqué d'empathie », etc. Ce qui m'a le plus surpris, c'est que personne ne m'a dit « Tu as fait une Michel et te connaissant, c'est normal que tu aies agi ainsi. ». Les conventions sociales ne m'empêchent généralement pas d'agir comme je l'entends et c'est a fortiori dans les moments les plus difficiles qu'on voit de quoi sont faits les gens. « Faire une Michel » n'a été évident que pour moi. Pour tous les autres, cela allait à l'encontre de mon bonheur. « Tu comprends, il faut bien tenir compte des sentiments des gens et toute vérité n'est pas bonne à dire » me dit-on.

Quand il s'agit d'avouer une faute, je ne me sens pas très différent des autres. J'ai la boule au ventre, je procrastine, je transpire, j'ai les mains moites et tout mon corps bégaie comme si j'étais un collégien qui récitait un poème devant toute la classe. Dans de telles circonstances, face à ce type de choix, j'éteins les signaux nerveux et je me force à sortir les mots de la bouche.
J'ai bien conscience que je ne suis pas parfait. Je ne prends pas les meilleures décisions tout le temps. Parfois je manque effectivement d'empathie. Parfois, j'en raconte trop, je ne tiens pas un blog pour rien. Cependant, j'ai été élevé dans le respect de la vérité et j'ai appris à considérer et chérir ma vulnérabilité. Je ne cherche pas à me cacher, plutôt à me faire pardonner.
L'infidélité de ce point de vue est un point ambivalent dans ma vie. J'en ai pas mal parlé via mes articles et mes vidéos justement parce que c'est un concept qui m'a marqué au fer rouge. Je n'ai jamais eu l'impression d'avoir eu le choix sur cette question dans mes relations amoureuses.
Je ne suis qu'un homme après tout. Je vois bien que partout, les êtres humains vivent dans l'illusion de la rationalité et se laissent aller à leurs pulsions plus souvent qu'ils ne croient. S'interroger rétrospectivement est bien plus aisé que de se retenir. Oscar Wilde disait à juste titre dans Le Portrait de Dorian Gray « le meilleur moyen de résister à la tentation est d'y céder. ». J'ai moi-même commis de tels impairs. Goût du risque, ego gonflé aux compliments, facilité, je ne saurais dire la raison exacte de mes écarts. Je l'ai fait parce que je le pouvais et cela sans risquer de blesser je suppose.
Pourtant, j'accepte volontiers l'infidélité chez ma partenaire au sens « je suis attirée par quelqu'un d'autre et j'ai voulu aller au bout de l'expérience ». Comprenant comment mes pulsions me gouvernent, je n'ai jamais prétendu vouloir combler tous les désirs et fantasmes de ma partenaire. De la même manière, au vu de la difficulté que j'ai éprouvé à me responsabiliser face à ce sujet, j'essaie donc d'être le plus ouvert possible pour que la conversation soit toujours possible. Malheureusement, le sujet est un tel tabou que tout échange à ce propos est souvent inconcevable. A mon grand désarroi.

Ce dont j'avais le plus peur finalement était de devoir me tenir pour responsable de la souffrance induite par mon acte. J'ai parfois donc décidé d'omettre. Je regrette souvent ce choix parce que la culpabilité me ronge. Pas par rapport à l'acte mais par rapport à l'image que j'entretiens de moi-même. J'ai eu peur d'avouer et je me suis défilé. Je me sens couard dans ces moments que j'essaie d'éviter le plus possible. Mentir par confort. A côté de cela, la souffrance d'autrui m'est dérisoire car je traînerai la mienne toute ma vie.
J'ai également peur qu'on ne me prenne plus au sérieux si jamais j'étais mis en porte-à-faux. J'ai toujours travaillé dur pour que ma parole fasse foi. Quitte à être ridicule ou blessant. Être fiable est l'une des valeurs fondamentales qui m'ont été inculquées. D'où la rigidité, la disponibilité, la logique et la rationalité. Mais aussi l'ouverture d'esprit, la bienveillance, la science ou encore la droiture.

Cette notion de vérité découle d'une appropriation des codes et des valeurs de mes parents. Mais aussi d'une interprétation de leur signification en termes de personnalité. Comme Will Smith dans Concussion, j'ai choisi une personnalité qui correspond à ce trait de caractère et je m'y fie à chaque fois que j'ai un dilemme du type "dire ou ne pas dire". J'ai appris avec le temps que mon approche de ce genre de problèmes est différente de ceux qui m'entourent. Mon père a été le premier à le comprendre et à l'accepter. Il me répétait à l'envie, "tu tiens ça de moi et un jour tu verras, tu auras des problèmes que tu ne comprendras pas. Le mieux est encore de te taire et de faire l'idiot. Quand tu auras raison, les gens te le feront payer si tu le dis.". Aussi loin que je me souvienne, il me l'a toujours dit. Et je n'y comprenais rien. Impossible pour moi de laisser faire ou laisser passer, ma faute comme celle d'autrui. Je m'auto-flagellais en quelque sorte à vouloir montrer que vivre une vie de héros à la Horace de Corneille était possible.
J'ai pas vraiment changé de fusil d'épaule aujourd'hui. Je mise beaucoup moins sur la cohérence et la compréhension des gens d'autant plus que je comprends et accepte beaucoup mieux mes propres incohérences. J'aime être tout seul mais j'adore transmettre. J'aime être le centre d'attention mais je n'aime pas qu'on me décrive. J'aime bien qu'on s'occupe de moi mais je ne laisse finalement personne le faire par manque de confiance et peur d'être déçu ou blessé. Par conséquent, dire la vérité dans un tel contexte est nécessairement un calcul. Etre sincère vaut-il mieux qu'être tranquille ?
J'essaie toujours de faire de mon mieux et de ne pas mentir. Je me rends compte qu'en restant sur cette approche basique, j'ai moins de noeuds au crâne. Je ne m'occupe que de ce qui m'atteint et de ce que je peux contrôler. Ce champ étant relativement réduit, la vérité n'est ni option ni source d'anxiété mais plutôt quelque chose de naturel. J'ai changé de perspective et ainsi, la vérité devient à la fois absolue et relative. Paradoxal et incohérent. Comme moi, comme tous.