De l'Amour

04/05/2022

Ça fait quelques mois que je suis célibataire. J'enchaîne les dates à plus ou moins grande fréquence et plus ça va, plus je vois le corps féminin comme un objet à consommer, comme la prochaine commande Deliveroo à me faire livrer. Mon désir s'impose à moi et la recherche de l'Amour passe au second plan. Je pêche par luxure avec un chalutier.
Cela dit, séduire c'est dur. Je me sens particulièrement reconnaissant de l'effet que je provoque au sexe opposé, via les applications de rencontre ou en personne. Cependant, entre la lassitude, le nombre de rejets que j'essuie, la déception des rencontres avortées et de celles qui vont jusqu'au pieu et qui y demeurent, rester célibataire ressemble à un suicide émotionnel. Sans compter que ça coûte cher ! Un verre. Deux verres. Un restaurant. Une soirée. Une après-midi. Une nuit. Des conversations par SMS ou de visu. Des questionnements, des ascenseurs émotionnels. A côté de ça, YouTube c'est gratuit et le basket c'est bien plus kiffant...

J'ai une idée assez arrêtée de ce que veulent les femmes que je croise sur les applications de rencontre : de l'attention, de l'aventure, un échappatoire à leur quotidien et un espoir de sortie de leur solitude. Mes turpitudes m'ont doté d'un talent naturel pour offrir ces choses là mais j'ai la sensation que tenir ce rôle me vide de mon essence.
En réalité, je ne suis qu'un énième égoïste en manque d'affection, essentiellement porté vers des relations charnelles et frappé d'un complexe de supériorité dans ces contextes qui m'amène, au mieux, à regarder ces femmes avec circonspection.
Par ailleurs, je lutte en permanence contre un dégoût qui survient à l'idée de devoir tenir ce rôle sur la durée pour obtenir ce que je désire de ces femmes. Dégouté de la répétition, du manque de surprise, tout cela me lasse. Je suis pris dans un étau entre le besoin de plaire et mon dégoût pour l'exercice et ses inéluctables aléas.

À juste titre, ce dont je rêve est de plaire sans me compromettre. Que la soumission soit la preuve de mon pouvoir d'attraction. A l'évidence, ce que je crains est d'affronter le rejet d'une personne qui me plaît autrement que par la courbure de ses hanches.
Je n'ai pas tant de mal à me montrer vulnérable, mais personne n'est parfait et à maints égards, je dois encore parfois me faire violence pour m'exprimer tel que je le ressens. Néanmoins, je porte mes traumas comme une veste fluo. Je prends plaisir à me mettre en danger en répondant aux questions traditionnellement difficiles aussi sincèrement que possible. Et pourtant, ma garde est haute. J'ai peur que mon besoin d'être comblé éloigne, fasse fuir ou invite à la négociation. J'ai peur que ma franchise m'isole. La vérité blesse dit-on. J'ai également peur de l'échec, de ne pas pouvoir fonder une famille dans laquelle je me sentirais aimé, soutenu et épanoui.

Que fait-on une fois qu'on a dit tout ça ? Je ne sais pas trop. Continuer à chercher sûrement. Entretenir la boucle rétroactive ? Je serre. La relation me blase. Je tente d'ajuster avec ce que j'ai appris précédemment. Je me lasse. Je ghoste ou romps. Je résume et je mets à jour. Je serre. Bis repetita. Objectif : casser la boucle ou transformer le cercle en ligne.
D'un côté, j'ai l'option de refuser de me compromettre et rester dans mon "confort" actuel. De l'autre, j'ai l'option de redoubler d'efforts pour augmenter le nombre d'opportunités, le nombre de choix. Je sais pas si j'ai la patience où l'énergie de revivre une autre période de travail intense.
Ou alors, sortir de la recherche de la cohérence à tout prix, aller à la rencontre de ce qui me plaît. L'Amour n'est pas une question de raison. La sécurité n'est pas une valeur. Prendre des risques est primordial pour se donner une chance d'obtenir ce dont on a besoin. À ce titre, les deux options précédentes sont presque anecdotiques. Elles répondent à une peur plutôt que de répondre à un besoin : me sentir libre d'oser.