De l'ennui

Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais eu vraiment peur de l'ennui. J'y étais confronté plus souvent petit. Je me rappelle des journées passées dans l'immense vide qu'était notre maison de Yaoundé à attendre que les heures et les minutes s'écoulent dans l'espoir qu'un événement vienne égayer notre quotidien. Le retour de Papa à la maison. L'arrivée de cousins ou autres personnes venues nous voir.
Les vacances durant l'année scolaire étaient le pire je pense. Pas assez longues pour avoir des gens à la maison. Trop longues pour des enfants livrés à eux-mêmes en termes d'activité. Souvent, on allait se divertir ailleurs. Chez mon grand-père et surtout dans sa piscine. Chez ma grand-mère et tous les enfants de nos âges à ma soeur et moi qui nous accueillaient. Dans tous les cas, un lieu qui nous sortait de l'ordinaire.
Pourtant, même en ce temps là, la fatalité de l'absence de stimulation ne m'accablait pas. On trouvait bien un truc à faire ou à lire. Et puis, ma compagnie ne m'était pas désagréable. Déjà à cette époque, je passais beaucoup de temps dans ma tête. Mes curiosités, je les explorais souvent seul. L'ennui me poussait quelques fois à tenter des expériences folles. Braver le danger n'était pas pour autant le but. Je ne m'en vantais pas forcément derrière non plus. Plutôt, je vivais certaines expériences pour en tirer quelques leçons. La première de ce genre consistait en le test du pouvoir isolant du caoutchouc. J'ai pris le radio réveil de ma grande soeur et j'ai coupé le cordon d'alimentation, alors branché sur une prise électrique, pour voir si le caoutchouc au niveau des anneaux allait me protéger. Ce qui fut le cas au détriment des fusibles de la maison. J'ai eu bien plus peur qu'on sache que j'étais le responsable de la coupure de courant que de ce que mon expérience aurait pu me coûter.

Quand on est petit, on ne mesure pas le danger de certains actes et l'ennui nous pousse à la témérité. Dans mon cas, il y avait une part de défi et de soif de savoir. Ces derniers mois, je ne cherchais plus vraiment à me dépasser. Je n'avais plus grand chose à me prouver. Mes accomplissements sont derrière moi. Je n'en suis pas particulièrement fier d'ailleurs. J'ai la chance d'avoir des proches qui le sont pour moi mais surtout, ils correspondent souvent à des non choix. L'expérience de la vie me fait dire que le savoir est partout et que braver le danger n'a rien d'extraordinaire. Le monde ne m'émerveillait plus autant. Certaines choses sont captivantes. Un bon repas, une minute et demi sur un grand-huit, la divagation de l'esprit sous l'emprise de psychotrope. Cela dit, j'ai compris que ce ne sont que de petits plaisirs. Petits par définition donc. L'émerveillement est nécessaire pour faire grandir l'influence de ces petits plaisirs sur notre état d'esprit. Hélas, en ce temps là, l'ennui m'enlaçait et repoussait toute source d'émerveillement par la rationalisation et la relativisme.
Par ailleurs, la peur de la souffrance joue un grand rôle dans le maintien de l'ennui. La recherche de la nouveauté est un moteur d'émerveillement naturel. Découvrir une nouvelle série, ou manger dans un nouveau restaurant, ou encore entamer une nouvelle relation avec une inconnue. Ces expériences de la nouveauté créent un espace émotionnel dans lequel il n'y a pas d'attente, seulement l'espoir de vivre quelque chose d'excitant ou d'apprendre sur soi également. Et pourtant, on peut se retrouver à refuser ces expériences par peur d'être déçu, ou rejeté ou encore blessé. Ce qui nous maintient dans une zone de confort où il n'y a rien de neuf ou de surprenant, que du vieux.
Accomplir ses rêves n'a rien d'extraordinaire en soi. Chacun rêve à son niveau et chacun réalise ses rêves comme il peut. Le rêve d'une personne peut être le quotidien d'une autre. Ce qui rend la poursuite de nos rêves si passionnante, c'est ce qu'on en espère. On se fixe un objectif qui correspond à notre version du bonheur et on travaille sur soi comme sur notre environnement pour atteindre cet objectif.
Je souhaite à toute personne qui lira ces lignes de comprendre ce qui les rend heureux, la perspective qui les pousse à se lever le matin. Réaliser ses rêves ne rend pas tout le monde heureux. Le bonheur se trouve dans l'expérience et surtout dans l'appréciation de cette expérience. L'ennui de ce point de vue est un ennemi mortel. On en meurt avant d'avoir vécu et on refuse d'en sortir par peur de vivre. Les enfants vivent pour expérimenter. Les grands enfants, ou "adultes", expérimentent pour vivre car le reste de leur temps est souvent consacré aux besoins et désirs de quelqu'un d'autre.
J'écris parce que j'aime écrire. J'écris quand je veux, ce que je veux, et je m'arrête quand je veux. Quand j'écris, je ne fais rien d'autre. L'ennui n'existe plus. La peur d'en souffrir n'existe plus. Ce qui me fait dire que l'ennui au XXIe siècle, n'est pas un phénomène si banal. L'Homme ne sait plus rien faire simplement ou singulièrement. Il se juge tout le temps. L'un de mes rêves est de voir l'ennui comme un ami, retrouver un sens de l'émerveillement dans ce que je vis et fais. Et surtout, ne plus avoir peur du jugement d'autrui quelque soit sa forme et ainsi m'autoriser à poursuivre ce bonheur qui m'échappe. En ce sens, l'ennui n'est qu'une opportunité de plus de se focaliser sur l'ici et le maintenant.