De l'entourage

Jusqu'à il y a pas longtemps, je pensais que j'avais peu d'amis, peu de confidents et peu de gens de confiance. Du coup, lorsque je me suis trouvé au fond du trou, je n'ai eu que très peu de choix à ma disposition pour parler de ce que je traversais. Je me suis alors contenté de rester factuel avec ceux qui m'avaient vu plonger et j'ai confié mes états d'âme à Elizabeth, ma petite soeur. Pourtant, en y réfléchissant bien, je n'ai jamais été seul. Mon évolution a fait que je me sente ainsi.
Ma famille, de mon point de vue, ne me laissait pas être moi-même à plein d'égards. Entre le rôle de l'aîné, du fils, du chef de famille, je me suis construis un personnage qui a lourdement influencé la personne que je suis devenu. Je portais un masque et j'ai fini par croire que c'était mon vrai visage.

J'ai affronté les événements les plus durs de ma vie avec ce masque collé au visage mais tout a vraiment changé lorsque ma mère a perdu l'appartement dans lequel on vivait en juin 2006.
7h du matin, j'étais l'aîné dans la maison et plusieurs de mes frères et soeurs dormaient encore, moi le premier d'ailleurs. BOUM BOUM BOUM ! Trois coups lourds sur la porte me réveillent. Je me lève en sursaut et j'entends, "Ouvrez, c'est la police !". Du haut de mes 19 ans, je faisais pas le fier. Je m'exécute donc et là je vois devant moi un Jérôme Lebanneur et j'ai cru l'espace d'un instant que j'avais six ans. Je le crois toujours quelque part. Il faut savoir qu'à l'époque je dépassais déjà 1m80 mais je me sentais comme ayant un mètre de moins.
Les policiers étaient accompagnés d'un huissier, ou plutôt l'inverse, pour procéder à l'évacuation de l'appartement et à la pose de scellés sur la porte. J'ai juste eu le temps de rassembler tout le monde, de prendre quelques affaires et d'embarquer tout le monde direction chez ma grand-mère qui habitait alors à deux stations de métro de là.
Avec le recul, c'est un des épisodes les plus violents que j'ai subis dans ma vie et j'ai dû le gérer quasi seul. Comme tous les autres auparavant et ceux à venir. Le genre de mauvaise graine dont on ne se débarrasse pas d'un coup de pensée positive.
Le plus dur a été le comportement de ma mère. Elle ne nous a fourni aucune attention ou explication concernant l'événement ni même d'explication. Aujourd'hui, je n'ai toujours pas d'histoire cohérente provenant d'elle qui explique pourquoi nous étions livrés à nous-même ce matin là.
Elle m'a demandé pardon des années plus tard mais c'est difficile de pardonner quand tu sais pas ce qu'il y a à pardonner. Tout ce que je voulais était de lui venir en aide et elle m'a toujours rejeté sans pour autant me laisser mon indépendance. J'ai dû la prendre de force via les études d'abord et par la violence de notre relation par la suite. J'aime ma mère mais elle est en partie la raison de ma violence, violence qui n'a pas lieu d'être quand on me connait.
Je ne sais pas si nous arriverons un jour à avoir une relation normale mais je sais que je n'arrêterai jamais d'essayer. Elle vit aujourd'hui dans une certaine précarité et je me vois mal m'émanciper sans d'abord la mettre à l'abri des tracas du quotidien.

Le lendemain du mariage de ma soeur en juillet 2015, nous étions dans son salon à Montréal, elle, Elizabeth, Patrick mon cousin, mon père et moi, et mon père me dit que quelque part, j'aimais ma mère plus que n'importe qui d'autre dans la famille. Depuis ma descente aux enfers, je comprends enfin ce qu'il veut dire. Toute ma vie j'ai voulu prendre sa peine pour moi. Je m'en sentais capable et à bien des moments je l'étais. Néanmoins, elle me le refusait sous prétexte qu'elle ne voulait pas que je remplace mon père. Nos parents ne sont après tout que des être humains avec leur lot d'incohérences. D'où l'importance de savoir s'entourer et pour cela, je me suis noué au fil des années des amitiés à toute épreuve.
Cependant, ce fut très compliqué en grandissant. J'étais souvent la tête de turc ou le mec bizarre. J'étais habitué à ma solitude et je n'allais vers les gens que par obligation. Inès, ma soeur était mon seul refuge mais dès le départ, elle s'est reposée sur moi et je ne pouvais pas exactement faire de même avec elle. Cela dit, c'est ma première amie, celle qui a toujours su qui j'étais, qui m'a toujours soutenu, qui m'a toujours poussé. Je n'ai jamais questionné la relation que j'ai avec elle et celle-ci m'a servi de modèle pour toutes les amitiés que j'ai développées par la suite.
Nous avons connu nos premiers traumas ensemble. En effet, nous avons été laissés à la garde mon père à l'été 94, sans préparation et ce pour les quatre années scolaires à venir. On a été déraciné sans moyen de discuter et nous avons dû encaisser sans broncher. Ce que nous fîmes. Nous nous sommes alors réfugiés dans les bouquins mais même là nous n'étions pas vraiment abreuvés en abondance. Mon père en revanche a tenté tant bien que mal de satisfaire notre curiosité naturelle mais il avait ses propres errements et problèmes à gérer. A y réfléchir, je garde peu de souvenirs de cette époque, hormis les moments où je m'amusais, ceux-ci étant rares, nous ne faisions pas grand chose d'extraordinaire. Inès a été mon refuge dans le sens où je savais que j'avais une occupation en la regardant évoluer, en la protégeant, en la rendant heureuse. Nous parlions, nous jouions, nous nous entrainions au Nanbudo, nous vivions, ensemble.
C'est ma soeur mais c'est aussi l'une de mes meilleures amies et elle le restera toujours.
J'ai gardé un ami du collège. Thomas. C'est le premier mec qui m'a vraiment montré qu'être moi, c'était stylé. On a une amitié un peu à la Shônen, des rivaux qui deviennent des amis par respect mutuel et émulation. Il voulait me battre en cours, je voulais être intégré comme lui. Il voulait être mon frère et je voulais qu'il soit le mien. Finalement, je lui dois beaucoup de mon estime de moi et de ma rigueur. Je connais personne qui bosse autant que lui et j'ai traversé assez d'épreuves pour savoir à quoi ressemble la persévérance. Il l'incarne à merveille et ce dans tous les domaines de sa vie.

En seconde, je rencontre Mr Freeze et Le Grand. On est un peu seul face au monde dans un lycée qui nous refuse nos identités. Il faut dire qu'à l'EAB de Berri, nous faisions tâche et c'est ce qui nous a unis quelque part. Ca et le graffiti. Et la musique. Et le verlan. Et la bouffe. Et le sport. Et les meufs. Et la sape. Le Hip-Hop en somme. A y réfléchir, on était les seuls mecs reflétant la culture Hip-Hop dans ce lycée de bourgeois. Tous les autres, à mon goût, étaient conventionnels même dans leur subversion. Mr Freeze est aujourd'hui le mec le plus brillant que je connaisse et Le Grand est un modèle de stabilité. Nous partageons une philosophie de vie qui n'a pas vraiment bougé depuis ce temps là. On s'est construit philosophiquement ensemble et nos vies le reflètent encore aujourd'hui.

La seconde ne me réussit pas vraiment finalement. J'ai pas assez d'argent pour suivre la cadence. J'accumule du stress à cause du nouveau poids financier que j'ai dans la maisonnée ainsi que l'environnement hostile que représentait cette école pour moi. Je me sentais constamment en danger et rejeté.
A l'issue du brevet d'Inès, ma mère prend la décision de nous réunir à nouveau dans le même lycée et c'est comme cela que nous atterrissons à Janson de Sailly dans le 16e et conformément au cliché, je me fais pote avec les quelques noirs de mon niveau via le basket. Un peu comme en seconde, je me sens seul face au monde et Cyr, SER ou encore Jean-Luc ou Aurélie - qui n'est ni noire ni joueuse de basket mais qui incarne la gentillesse de mon point de vue - m'offrent un espace où je peux m'exprimer librement en tant qu'alien.


L'amitié est le seul domaine de ma vie dans lequel je me suis complètement laissé porter. Aucun sentiment n'a été aussi gratifiant pour moi et tous mes amis sont brillants. Il y en a encore beaucoup que je ne mentionne pas ci-dessus faute de chronologie. Les vrais se savent.
Cela dit, l'une de mes principales qualités est que je donne tout en amitié sans attente. Mes amis m'estiment pour ma personnalité avant tout et me laisse être avec eux l'homme que j'ai envie d'être. Je les remercie en étant là pour eux AUSSI SOUVENT QUE JE PEUX. L'amitié peut être le sentiment le plus pur qui existe car il se fonde essentiellement sur l'entente mutuelle et sur l'émulation. On peut donc avoir des amis alors qu'on ne se connait pas soi-même. Mes amis ont remplacé ma famille quand j'avais l'impression que je n'en avais pas. Et je tente tous les jours de leur rendre la pareille.
J'essaie aujourd'hui de réparer petit à petit les liens familiaux brisés avec le temps et les épreuves de la vie. Mes amis sont là pour m'aider dans ma quête.
Cyr m'a dit un jour "pense d'abord à ce que tu peux apporter au groupe avant de penser à ce que tu veux que le groupe fasse pour toi". Cela résume parfaitement mon attitude vis à vis de mon entourage. L'amitié est simple si les actions sont complètement désintéressées. Mes amis m'ont sauvé à plusieurs reprises dans le seul intérêt que j'aille mieux et je ne serai pas en voie de guérison aujourd'hui sans eux, sans mon entourage.
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