Du décès

Je rentre chez moi après l'entrainement, tard, il est près de 23h. Je passe par le Chicken Spot, pour changer du McDo. Je mange végétalien mais que quand les autres regardent. Ou pas, ça dépend des jours. Je me dis « je vais appeler le daron ». Mais non, je peux pas. Il est mort le 17 juillet 2022. Une tristesse immense m'envahit. Chaque fois que je me rappelle son décès, c'est comme si je l'apprenais pour la première fois mais avec un écho. L'intensité du coup diminue avec le nombre de fois que je le prends. Non, ce qui prend le pas, c'est la pesante vacuité du quotidien. Plus rien n'a de saveur. Je suis condamné au moment présent. Le passé est une prison et l'avenir est une falaise. Entre les deux, je persiste mais je ploie sous le poids des responsabilités, du désarroi, de la solitude, de ma pensée.
Je suis rentré du Cameroun le 4 septembre 2022, fortifié d'avoir redécouvert un monde et quelques perspectives d'avenir. J'avais grandement profité de tout le travail de gestion émotionnelle qui m'a permis de tenir le coup tant bien que mal avant et durant mon séjour à Yaoundé pour les funérailles. J'ai eu le soutien de mes frères et soeurs comme rarement j'ai senti dans ma vie. Muni de cette arme, j'avais la sensation de pouvoir dominer le monde demain. Mais voilà, demain est arrivé et il m'a roulé dessus comme un rouleau compresseur.
Je ne sais pas vraiment vers qui me tourner. Je tente bien des ouvertures mais je n'y crois pas vraiment. Au fond de moi, je suis convaincu que seul le temps fera les choses. J'entends par faire, s'habituer à cette sensation. Le bonheur ne me manque pas mais la paix me semble tellement hors de portée. Je ne me rappelle pas la dernière fois que je me suis senti en vacances. Je crois que cela n'arrivera pas de sitôt.
Je suis terrifié à l'idée de demander de l'aide, tout bonnement parce que je me sais complètement égoïste, égocentrique, manipulateur, rigide, exigent, fainéant, misogyne, etc. Sans compter une peur notoire du rejet ou de la déception. Mais mon père est mort et je veux son amour plus que tout. Personne ne peut le remplacer. Personne ne peut lui succéder.
Je me suis doté d'outils puissants et efficaces pour, justement, être en mesure de faire face à cette avalanche de négativité. Méditation, patience, empathie, introspection, communication. Depuis quelques années, ce que j'entends souvent à mon égard c'est à quel point je suis maitre de mes émotions. Pourtant, j'ai l'impression d'être comme Itagaki face Imai, les coups pleuvent, je les vois venir au ralenti et je ne peux rien faire pour ne pas les encaisser. Le combat est perdu d'avance. Ma nouvelle sagesse m'impose de tourner la joue mais les larmes m'en coulent. Ce qui me fait du bien est éphémère, fébrile, superficiel. Ce qui m'habite me fait souffrir intensément et de manière diffuse. L'insoutenable inéluctabilité de la souffrance.
Je ne crois pas aux miracles. Je trouve le temps long. Je ne travaille même plus pour moi mais pour ceux dont j'ai la charge. Mes frères et soeurs et leur descendance. À l'avenir même, toute la descendance Kodo MBoé, j'ai toujours été mégalomane. Depuis peu cependant, ma vision est étriquée. Je vois tout petit. J'ai hâte d'arriver à cette période où les pions que j'avancerai serviront à créer des situations positives plutôt que de protéger des pièces sacrifiées.
Il n'y a pas d'ouverture aujourd'hui. Je ne me sens pas mieux après avoir écrit tout ça. Juste plus calme. Je ne sais pas quoi en tirer. Le décès, c'est aussi la destruction de l'espoir. L'une des épreuves les plus difficiles dans l'acceptation de l'impermanence. Je me prends la tête tout le temps. Pour le deuil de mon père, j'ai décidé de procéder autrement. On verra bien. Tout va bien se passer.