Du racisme

À titre personnel, le racisme ne m'a jamais vraiment empêché de faire ce que je voulais faire dans la vie. J'étais la plupart du temps le seul responsable de mes frustrations. Pourtant, je me plains du racisme depuis que je sais à peu près ce que c'est. Force est de constater donc que pour moi, le racisme est, en première instance du moins, le problème des autres. J'ai eu la chance de faire de bonnes études dans des environnements scolaires relativement sains et bienveillants. Je n'ai jamais vraiment cru en la méritocratie dans le sens où je me suis jamais senti méritant d'un traitement de faveur malgré les qualités qu'on m'aurait prêtées. Si j'étais sur le banc, c'est parce que selon moi, j'étais pas assez bon quand bien même ce n'était pas le cas. Si j'ai pas eu la prépa que je voulais, c'est parce que j'étais trop turbulent et mes notes étaient trop basses quand bien même ce n'était pas le cas. Bref, être noir était parfois un désavantage, mais je ne me suis jamais autorisé à penser que le jugement des autres se réduisait à ma couleur de peau ou que c'en était un paramètre prévalent d'ailleurs.
D'un autre côté, je vois l'impact de ma couleur de peau sur autrui. Je fais 1.85, j'ai la voix grave, je suis barbu et j'ai toujours été plus attaché à la réalité qu'à ce qu'en pensent les gens. Je fais peur, j'ai toujours fait peur - et pas qu'à des blancs - et là où j'ai grandi, c'était parfois un avantage psychologique. Ma personnalité faisait le reste. Combien de fois m'a-t-on parlé de la taille de ma bite ? Combien de fois m'a-t-on demandé si j'étais joueur professionnel de basket ? Combien de fois m'a-t-on dit que j'étais « différent » des autres noirs ? Je me souviens par exemple d'un camarade en école d'ingénieur qui faisait une blague raciste à chaque fois qu'il me croisait. La première fois, ça m'a fait marrer. Les cinquante mille fois suivantes m'ont fait sourire malgré l'agacement. Je me disais que c'était la seule manière qu'il avait trouvée pour pouvoir interagir avec moi sans craindre une agression de ma part. Et le fait est que j'ai été agressif longtemps. Lequel de nous deux est le plus raciste ? Moi qui accepte son comportement ou lui qui ne me voit que dans une seule dimension ?

Les actes racistes dont j'ai été victime étaient caricaturaux la plupart du temps. Quand tu en fais l'expérience la première fois, l'intensité de ta réaction est proportionnelle à la bêtise et l'ignorance du coupable. Émotionnellement, mon for intérieur baignait dans la mélasse. Colère, incompréhension, honte, toutes ces émotions se mélangeaient. Impossible dans ces conditions de déterminer quelle est la réponse appropriée à apporter, ou s'il faudrait en apporter une. Aujourd'hui, je remets tout en question, notamment l'impact réel du racisme sur ma vie et mes choix. Je dois avouer qu'aujourd'hui, je mets le racisme sur le même plan que tout un tas d'autres discriminations. Sexisme, tribalisme, classisme, ou même la beauté, j'apprends aujourd'hui comment ces préjugés se forment dans le cerveau et dans le corps. À l'évidence, ils sont fondés sur une forme de peur. De fait, les problématiques liées m'intéressent moins car je sais que ceux qui sont gouvernés par la peur sont ceux sur qui l'influence s'exerce plus facilement.
Je remarque que notre ère accorde la primauté à l'émotion plutôt qu'à l'éducation ou l'instruction. On ressent et on exprime plutôt qu'apprendre et s'adapter. En somme, la vie est devenue tellement confortable qu'on a perdu le sens des responsabilités, individuelles comme collectives.
A l'échelle individuelle, on souffre de nos interactions avec autrui. Il est plus facile de blâmer l'autre plutôt que d'accepter ce qui est pourri en nous. Et pour couronner le tout, on cherche constamment la validation de notre ressenti plutôt que de le confronter à la réalité. Chose on ne peut plus aisée à l'heure de Twitter et d'Instagram. À ce titre, le racisme n'a plus grand chose à voir avec l'héritage de l'esclavage et du colonialisme. On est outré par une photo d'un blanc qui se peint le visage en noir alors que ça n'a pas d'incidence sur comment j'interagis avec mon prochain. Le problème est aussi bien l'action qu'on décrit que la démesure de la réaction et la rapidité de l'oubli. On cherche de sensations fortes plutôt que la paix et son corollaire, la banalité.
A l'échelle collective, le pardon a énormément perdu en valeur. On a pas vraiment appris à mieux gérer les dynamiques de groupe. Les principes de façade éliminent toute cohérence dans les luttes et les lignes sont tellement brouillées qu'il est difficile maintenant de savoir pourquoi les gens se battent. Comme dirait Lefa « Ouais souvent, c'est les victimes qui commettent les pires crimes ». Une féministe qui tape son conjoint. Un ouvrier qui souhaite la rémigration d'autres ouvriers, juste étrangers ces derniers. Un bourgeois de gauche qui inscrit son enfant en école privé à Paris. Un écologiste qui achète de la sape pour le fun et se déplace en voiture diesel. Le vivre-ensemble passe après la posture de groupe.
Pour ce qui est du racisme, je dirais ceci : je ne suis ni historien, ni analyste politique. Je ne prétends donc pas savoir quel comportement suggérer pour éliminer ou du moins réduire le plus possible les biais racistes qui accentuent les inégalités entre nous. Tout ce que je peux faire, c'est agir sur ce que je peux contrôler et cela se réduit essentiellement à mes réactions et ma connaissance des mécanismes racistes qui me touchent. Selon moi, le racisme n'est que l'expression d'une forme de peur d'autrui. De fait, il est à la portée de tous de savoir ce dont il est question lorsqu'on parle de racisme systémique, d'acte raciste ou encore de biais raciste. Deux exemples donc.
Un état qui permet à ce que la police d'agir sur la base de cette peur produit du racisme à l'échelle du système. C'est ce qu'on constate lorsqu'on voit la répartition raciale de la population carcérale. Ça n'a rien d'intelligent de dire ça, il suffit d'observer la réalité et de connaitre un peu l'histoire de la police. Cela dit, c'est autant la responsabilité de l'état de mieux former la police que la responsabilité de la communauté ou des parents de fournir l'éducation et les moyens nécessaires pour que nos jeunes ne passent jamais par la case prison. Il faut bien comprendre que dans un environnement stressé, vendre de la drogue est facile. Commettre de menus larcins est facile. C'est comme allumer la télé plutôt que d'ouvrir un livre. C'est d'abord de l'ennui et de la paresse couplées à de l'impuissance et la recherche d'adrénaline. Et tout le monde est biologiquement programmé pour être partisan du moindre effort ou pour fuir l'ennui. Il n'y a rien de mal à cela.
Insulter un blanc ou juif sous prétexte qu'on assimile sa couleur de peau à une classe sociale élevée est un acte raciste. Il dénote de la peur de ne pas pouvoir atteindre la classe sociale qu'on désire. En l'occurence, la bourgeoisie. Le comportement bourgeois n'est pas vraiment limité par les règles sociales puisqu'aujourd'hui, c'est lui qui domine. Tout ce qu'il fait est excusable et excusé. L'insulter ou le vilipender sur la base de sa couleur de peau est non seulement stupide mais dangereux pour les deux parties en plus d'être raciste.

En France, nous sommes certes égaux en droit mais devant la Nature, nous ne sommes pas égaux et notre ADN nous le rappelle tous les jours. Les moyens à notre disposition pour nous protéger des personnes qui pourraient naturellement nous dominer prennent ces inégalités en compte. Toutes nos décisions s'en trouvent influencées, notamment les choix qui déterminent le vivre-ensemble et donc nos lois. Souhaiter l'égalité entre tous les êtres humains n'a rien de juste puisque ce n'est pas un processus naturel. Ce qu'on souhaite c'est l'équité mais de fait donc, il faut accepter que les règles que nous suivons actuellement nous en éloignent. La peur de l'étranger provient d'un réflexe qui nous a sauvé la vie pendant des milliers d'années. Le seul moyen prouvé par le passage du temps pour dépasser cette peur est la coopération. Et une fois qu'on croit à la même histoire, les différences passent au second plan. Le racisme n'est pas voué à être éliminé mais minimisé par la mise en place d'une vision commune. On a inventé le couple pour que tout le monde ne ressemble pas à Genghis Khan et que le ticket d'entrée sur la piste de danse ne soit pas trop cher pour les moins bien lotis. Dans notre monde où les gens et les biens se déplacent rapidement et librement, il nous manque encore un équivalent qui nous permettrait de vivre ces peurs plus sereinement.