Xzibit ft Strong Arm Steady - Beware Of Us

19/08/2020

Ce que j'aime dans ma manière d'écouter de la musique c'est l'approche à la fois instinctive et intellectuelle. Depuis petit, j'ai tendance à écouter un morceau en boucle, parfois pendant des semaines avec une passion indéfectible - merci Maman. Arrive un moment où la magie opère et je remarque un son, un bruit, une phase ou je ne sais quel autre détail qui change tout. Je comprends enfin pourquoi j'ai tant écouté le morceau et en même temps ça me permet d'apprécier les autres éléments du morceau avec une oreille nouvelle. Un réel changement de point d'écoute. Là où je ne me fiais qu'à l'état de joie naturel pour justifier le mode repeat, maintenant, je remets le son pour éventuellement remarquer ce qui m'échappait jusque là. Et c'est là que tout s'éclaire et que la passion devient obsession. Quel instrument fait ce son ? À quelle régularité ce son apparait ? Qu'a voulu dire l'artiste à ce moment ? Combien y a-t-il de couches dans le morceau ?

Il y a quelques jours, je me suis remis à écouter Restless, le troisième album de Xzibit. Je m'étais souvenu de la lourdeur de quelques sons et je me suis soudain rappelé de ce que représentait Xzibit pour le rap et pour moi au début des années 2000. Je me suis également rappelé de tous les moments où il m'a accompagné durant mes études, notamment grâce à Paparazzi que j'ai saigné pendant mes années de prépa. Pour le sample de Gabriel Fauré, pour les paroles, pour la tranquillité et la mélancolie du morceau, la profondeur des paroles revendicatrices, complémentaires de l'instrumentale. Bref un bijou parfait pour la concentration nécessaire à la démonstration de théorèmes mathématiques en ce qui me concerne.

J'ouvre donc mon Spotify et tout l'album y passe. Front 2 Back, Get Your Walk On, Kenny Parker Show 2001, Don't Approach Me, etc. Ma tête manque de se désolidariser du reste de mon coeur dans le mouvement caractéristique du « Hip-Hop Head ». Je me demande alors si par hasard je ne serais pas passé à côté de quelque chose en ne m'intéressant qu'à un nombre limité des morceaux de Xzibit finalement. Je passe alors en revue les albums suivants Restless et je tombe sur Beware Of Us dans Weapons Of Mass Destruction. Amour instantané. La chanson m'accompagne dans tout ce que je fais : la douche, la lecture, les trajets, etc.

Cela dit, je ne comprends pas trop pourquoi. Mon corps bouge de lui même et en redemande mais je n'arrête pas de penser que quelque chose me dérange et je n'arrive pas à identifier cet élément. En somme, je ne sais pas instinctivement pourquoi j'aime le son et j'ai la sensation qu'il suffirait de peu pour que je le trouve bien mais sans plus, voire banal.

Je me prépare à prendre ma douche ce matin et je lance le morceau sur ma petite enceinte JBL. Le son est tout pourri. Il grésille un peu et déforme les chansons mais pour le moment que je m'apprête à passer, cette dernière fait complètement l'affaire. En revanche, cette distorsion permet de mettre l'accent sur un élément que j'avais occulté jusqu'ici. Et là tout s'éclaire. Non seulement, je comprends enfin pourquoi j'aime le morceau mais surtout j'arrive à faire la connexion avec pleins d'autres morceaux que j'ai adorés avec la même sensation. Cette joie mêlée à une espèce de malaise dû à l'écart entre ce que je pense superficiellement du morceau et la réaction de mon corps. À plus forte raison quand je sais pertinemment que personne autour de moi ne voue le même amour au morceau en question ce qui renforce mon malaise.

La chanson démarre par des cuivres et tout de suite après arrivent l'instru et le refrain et c'est là que tout se joue. Il y a une progression dans le refrain. En effet, Xzibit chante le refrain une première fois, le répète et j'entends alors une note de synthé en ligne de fond (c'est dans ces moments que j'aimerais avoir l'oreille absolue). Un nouveau monde s'ouvre. Ai-je bien entendu ? Est-ce vraiment qu'une seule note ? A quelle fréquence cette ligne revient-elle, si elle revient ? J'éteins l'enceinte pour mettre mes écouteurs. Le son y est meilleur. Je me rends compte alors qu'il ne s'agit pas que d'une seule note ; que la ligne apparait progressivement au début et plus tôt que je ne le croyais, de sorte que je ne pourrais dire quand elle démarre à la seconde près ; que dans les refrains suivants, cette ligne est présente dès le début ; qu'elle est composée de plusieurs notes (accord ?) à la répétition du refrain ; qu'elle apparait dans le dernier quatre temps du couplet de Krondon, soit le premier de la chanson mais pas durant les autres couplets ; que la note change durant les refrains suivants... Je suis tombé dans le terrier du lapin et c'est mon activité préférée en ce qui concerne la musique. Analyser, décortiquer et établir des relations avec d'autres morceaux, d'autres artistes ou même d'autres domaines.

Quels sont les points communs avec les autres morceaux auxquels je l'associe hormis la sensation que j'évoquais plus haut ? La surprise multiple et l'investigation qui en découle. Je suis surpris à plusieurs niveaux. À la première écoute, quand je constate la réaction de mon corps. Généralement, il s'agit de morceaux issus du catalogue d'artistes que je connais assez bien, mais qui souvent ne sont pas des singles, avérés ou potentiels, donc peu connus. Quand je remarque que je suis le seul à vouloir remettre le morceau à l'infini si jamais je l'écoute avec d'autres personnes. Quand j'identifie avec précision ce qui me fait bouger la tête et que je remarque alors qu'il s'agit presque systématiquement de variations subtiles et parfois d'irrégularités. Mon corps et a fortiori mes oreilles y sont particulièrement sensibles sans que j'en sois réellement conscient. C'est le cas par exemple du morceau Push de Frank-n-Dank. Les seize temps n'ont rien de régulier et il faut prêter l'oreille pour entendre la différence entre un quatre temps et le suivant. Cette inconstance rend le morceau plus vivant. Une merveille qui illustre parfaitement le génie de Jay Dee, le producteur du beat.

Selon Paul Ekman, psychologue américain, la surprise est l'une des six émotions de base avec la joie, la tristesse, la peur, le dégoût et la colère. Elle agit comme le bouton "Reset" de la Super NES pour le cerveau. Le remettre en route demande un effort considérable. C'est également l'émotion la plus fugace et elle laisse nécessairement la place à une autre. En règle générale, j'aime pas être surpris. Besoin de contrôle suite à des traumas dans l'enfance je suppose. En gros, je préfère savoir ce qui m'attend. Pourtant, la surprise occupe une grande place dans la musique que j'aime et offre ainsi un excellent contre-exemple à cette posture. Comme quoi, tous les efforts non consentis ne sont pas néfastes et les malaises deviennent parfois incroyablement féconds et source de joie.